Cette rentrée 2020, nous la vivons tous de manière spéciale et inédite. Jamais dans notre discipline, nos dirigeants, nos enseignants et nos pratiquants n’ont été confrontés à une crise sanitaire d’une telle ampleur. S’il a fallu faire preuve d’adaptabilité face à la pandémie, à tous les échelons de l’État, qu’en est-il du judo, de l’accueil en club et de sa pratique ? Doit-on avoir peur pour la suite où, au contraire, doit-on se réjouir des conséquences positives que cela a engendré ? Notre conseiller technique, Sébastien GIRARDEY, au taquet depuis le début de la crise avec son équipe régionale, nous livre ses sentiments et apporte sa vision dans le cadre de cette reprise pas comme les autres…
Sébastien GIRARDEY, le CTR du Grand Est, nous dresse l’état des lieux du judo en cette rentrée…
Durant le confinement, l’activité économique et sociale s’est retrouvée totalement à l’arrêt, tout comme le judo, privé soudainement de pratique, de stages et de compétitions. Pourtant, cette coupure semble avoir été bénéfique en termes de créativité, réorganisation, etc… Qu’en est-il ?
« Durant cette période, nous ne sommes pas restés inactifs, loin de là. Très vite, des cellules de travail ont été mises en place, d’une part pour l’élaboration et la rédaction de protocoles pour sécuriser la pratique, puis pour mettre en place des mesures pour le déconfinement progressif annoncé par le gouvernement. Tous les conseillers techniques, cadres d’Etat, ont été sollicités pour cela par la fédération. Il fallait aussi tenir au courant nos clubs, nos adhérents et les personnes qui collaborent avec nous. Il était important d’apporter de l’aide aux clubs en matière de solutions pédagogiques pour cadrer la pratique (en extérieur, en intérieur, à distance, etc…), et apporter des réponses aux nombreuses questions nécessitant une réponse immédiate, mais aussi sur le court et le moyen terme (organisation de la rentrée, passages de grades, etc…). Ce schéma a été grandement complété par l’organisation hebdomadaire de visioconférences « Parlons Judo » (9 au total) à destination des dirigeants et enseignants, permettant d’une part de donner la parole aux acteurs du terrain, puis d’autre part de débattre sur différents thèmes. L’important était de rassurer, d’apporter des réponses concrètes, et avant tout de rester présent auprès des clubs dans cette période finalement assez anxiogène ».
Cette rentrée 2020, comment se présente-t-elle ?
« Elle se fait dans un contexte un peu particulier, et on ne sait pas encore comment les pratiquants vont réagir. Les premières inscriptions de ces deux premières semaines de septembre dans notre Ligue nous laissent pour l’instant optimistes. Nombre de clubs voient leurs nouveaux adhérents grossir progressivement, laissant augurer une belle reprise. Le nombre de renouvellements reste intéressant, chiffres qu’il nous faudra suivre avec attention. Les actions entreprises par de très nombreux clubs pendant le déconfinement puis durant l’été, ont permis de maintenir le contact avec les licenciés. Ces derniers reviennent et c’est très positif. Nous nous projetons déjà sur les prochaines compétitions à venir (championnat de France par équipes séniors, championnat de Ligue minimes, ½ finales séniors). Ce sont des compétitions importantes qui ont été reportées, et on a vraiment hâte d’y être. Les clubs aussi sont impatients de reprendre la compétition. Tout a été mis en œuvre par la fédération pour garantir un maximum de sécurité. Cette rentrée revêt également un caractère inédit sur le plan administratif. Toutes les assemblées générales (clubs, départements, ligues), en raison des reports occasionnés par la crise sanitaire, sont concentrées sur les mois de septembre et d’octobre (novembre pour la fédération), et nombre d’équipes vont être remaniées pour cette nouvelle olympiade 2020/2024. Les personnes qui s’investissent dans le monde sportif sont généralement des passionnés. En ce sens, je ne me fais aucun souci. Les gens avec lesquels nous sommes amenés à collaborer veulent faire avancer les choses, veulent tous apporter une pierre à l’édifice. Cette notion d’équipe prend tout son sens. Dirigeants, enseignants, conseillers techniques ; chacun a un rôle important. Dans le Grand Est, en judo, nous avons la chance d’avoir une bonne entente entre nos 10 départements. On fonctionne bien ensemble et tout le monde se serre les coudes. Il y règne un vrai esprit mutualiste. Cette première olympiade n’était pas simple avec la fusion des régions. Il a fallu tout créer, harmoniser et organiser. Mais je suis confiant et impatient car, après ces quatre années où il a fallu essuyer les plâtres, on peut désormais mettre de réels et solides projets en place, et consolider ceux qui ont déjà été entrepris. Cette nouvelle olympiade s’annonce prometteuse ! ».
La nouvelle olympiade 2020/2024 sera constructive et très riche, inévitablement…
Quelles perspectives pour le judo ?
« Notre priorité pour les semaines, mois et années à venir, ça va être l’enseignement. Il faut assurer la continuité des cours dans nos clubs. Il faut former des nouveaux enseignants, qualifiés et compétents, qui soient en mesure de dispenser des cours de qualité. C’est la raison pour laquelle nous nous lançons également dans l’apprentissage ! Notre avenir en dépend, c’est l’une des clefs. Et dans le contexte actuel, nous devons savoir enseigner toutes les facettes de notre sport, pas uniquement l’aspect sportif, mais aussi et surtout l’aspect « bienfaits » de notre pratique sur le corps et l’esprit, pour le bien-être général. Le judo est une pratique qui prend soin de notre corps, de notre santé physique et psychique. Il nous faut des enseignants capables de transmettre cela, et qui aient aussi envie de s’engager dans cette voie professionnelle. Un de nos points fort dans la région Grand Est, c’est le digital. Notre projet « Savoir Partager » consiste en l’établissement d’une base de données numérique via une application électronique (Donna), accessible à tous nos enseignants. Cette base comporte nombre d’informations à destination des encadrants, mais aussi et surtout de nombreuses vidéos pédagogiques, organisées par thèmes et alimentées par nos experts, formateurs et enseignants, pour enrichir les contenus sur le terrain. L’idée n’est pas de faire des apprentissages à distance, mais de gagner du temps sur les apprentissages. C’est un projet qui me tient particulièrement à cœur. C’est de la formation participative. Sur le plan sportif, nous sommes une ligue avec un réel potentiel, avec des moyens et des filières qui nous permettent de former efficacement les jeunes qui ont cette fibre-là (clubs, pôles espoirs, pôle France, centre universitaire Européen). Malheureusement nombre de nos jeunes prometteurs, une fois parvenus au niveau national, quittent notre région pour aller dans des clubs parisiens, qui disposent de moyens financiers plus conséquents. C’est l’un de nos axes de travail. Nous devons trouver des solutions pour qu’ils aient envie de rester dans nos clubs régionaux. Enfin, le sport/santé reste l’une de nos priorités. La pratique du judo à tout âge a des vertus à divers niveaux (respiratoire, cardio-vasculaire, musculaire, équilibration et aspect vestibulaire, réflexes, psychomoteur, psychique, etc…). Dans notre Ligue, nous avons la chance d’avoir des experts chargés de développer ces aspects dans les clubs. Le sport/santé fait partie désormais de nos incontournables ».
Tes ambitions à court et moyen terme ?
« Mes ambitions sont simples. J’ai à cœur, avec l’équipe technique régionale, de faire en sorte que le judo se développe sur l’ensemble de notre territoire, et qu’il n’y ait plus de « zones blanches » car je suis persuadé que la pratique du judo aide les gens à se construire, et apprendre à chuter puis à se relever peut sauver des vies. J’ai à cœur que chaque membre de notre équipe technique, que chaque conseiller prenne du plaisir dans son activité professionnelle, puisse ouvrir des projets et s’épanouir pleinement, tirant ainsi le reste vers le haut. Je souhaite également stabiliser et améliorer nos résultats sportifs, et ce dans toutes les catégories d’âge. Chez les jeunes, nous sommes l’une des meilleures Ligue de France. Il convient de maintenir cela, car c’est le fruit du remarquable travail de nos clubs et de nos structures. Pour finir, notre projet « Savoir Partager » se doit de devenir une référence, bien au-delà des frontières du Grand Est… ».
L’avenir du judo passera avant tout par un enseignement de qualité, qui se professionnalise de plus en plus…
A-t-on des raisons d’être optimiste ?
« Bien sûr que oui ! Le judo est un sport d’adaptation. Sur le tapis, on est face à un adversaire qui bouge, qui réagit à nos actions, et on est continuellement obligés de s’adapter, de réorganiser sa posture. Ceci est valable également dans la vie de tous les jours, et encore davantage dans cette crise inédite. Nous sommes habitués à la dimension d’adaptation, elle fait partie de nos savoir-faire. Nous sommes éduqués à cela dès le démarrage de la pratique judo. Par ailleurs, la mise en place de mesures d’hygiène, de discipline, de respect des règles sont des choses qui font partie de notre ADN. On est sur un art martial qui se pratique selon des codes, selon un règlement qu’il faut appliquer et s’appliquer. Nous développons au travers de la pratique et de nos valeurs, des prédispositions à respecter les règles et la discipline. Nos clubs mettent en place les protocoles sanitaires et les respectent. Je n’ai aucune crainte à ce niveau. Nous constatons d’ailleurs que de nouveaux pratiquants s’orientent vers le judo en raison de la communication faite sur le sérieux mis en œuvre par nos clubs dans l’application des protocoles. La pratique du judo nécessite par définition de prendre soin de l’autre, de collaborer. Collaborer veut dire prendre soin des autres, dans la vie comme sur le tatami, c’est quelque chose de naturel pour un judoka. La règle n°1 en judo est de ne pas blesser son partenaire.
Le judo offre l’avantage de pouvoir être pratiqué à tout âge, doucement s’il le faut, sans résistance, voire avec l’aide de son partenaire (en prenant soin de l’autre). Certains exercices peuvent même se pratiquer à distance pour comprendre la gestuelle et l’automatiser. Cette pratique entretient et développe des habiletés motrices et cognitives. Ce n’est pas qu’un simple sport d’opposition impliquant du combat. Cette dimension n’est qu’un volet de notre activité. Sa richesse est bien plus grande et s’inscrit pleinement dans le contexte actuel de « pratique bien-être et sécurisante ». Je suis optimiste et en même temps impatient, car on a encore beaucoup à transmettre, et je suis persuadé qu’au travers de notre pratique, nous pouvons participer à l’intérêt général dans notre société. En venant pratiquer le judo, les gens découvriront un sport qui permet de prendre soin de soi et de l’autre. C’est tout ce dont nous avons besoin aujourd’hui ! ».
Photos : archives S.N.R. Giffaumont septembre 2019.